Il est l’heure, amis lecteurs, de visiter le deuxième étage de la boîte de Pandores que nous vous avions proposé d’ouvrir il y a quelques semaines via cet article : Agences de notation l’impossible mission (I)
Pour ceux qui n’avaient pas pu nous accompagner lors de notre voyage inaugural dans le monde des « Oracles de la Finance moderne », nous vous invitons ardemment à consulter l’article cité précédemment. Ce dernier se révèle être la première facette de notre démonstration qui se veut duale.
Rappelons-nous. Nous avions débuté notre raisonnement par ces mots volontairement polémiques : « Les agences de notation, l’impossible mission … » ! Mots qui prennent tout leur sens dans le contexte actuel des marchés. Mais n’allons pas trop vite.
En ce début du mois de Juillet 2011, nous écrivions que les agences de rating, à savoir les dorénavant plus que célèbres Fitch Ratings, Moody’s et Standard & Poor’s, avaient irrémédiablement failli à leur mission d’évaluation du risque financier. L’Histoire nous avait donné pour preuves l’affaire Enron, la crise Internet du début du nouveau millénaire, la crise des Subprimes et bien d’autres. Vous savez bien, toutes ces mésaventures qui ont flétri la peau du Capitalisme financier, tous ces incidents qu’on nous disait uniquement de parcours, tous ces déboires qui n’auront de cesse de se répéter …
En partant de ce constat inébranlable nous avions postulé que la confiance absolue, unique essence théorique des agences de notation, avait cessé d’exister. Nous avions dit que dans un monde censé, ces agences de rating marquées au fer rouge de l’échec n’auraient plus du être écoutées par le moindre investisseur raisonnable à travers le monde. Mais ce monde n’est pas censé. Pour preuve, en temps normal quand quelqu’un se trompe on ne l’écoute plus et on le suit d’autant moins. Mais les agences de notation détiennent cette chose si spéciale en elles, qui leur confère leur invulnérabilité : elles ont le pouvoir de dessiner ce qui va se passer dans le futur même si ce dernier aurait pu être tout autre. De plus le Capitalisme financier les a rendues indispensables au « bon » fonctionnement du système. Elles dominent sur l’Olympe, sans maitres, ni dieux …
En définitive nous avions conclu qu’à la suite de leur incapacité croissante à prévenir le risque, elles se devaient de perdre toute once de crédibilité aux yeux de la planète Finance. Or il en va tout autrement. Non seulement le triumvirat de la notation existe toujours bel et bien, mais plus que cela, il fait figure de Pythie aux commandements auto-réalisateurs. Force est de constater que, quand Fitch Ratings, Moody’s ou Standard & Poor’s fait part de sa décision d’abaisser la notation d’un pays, quel qu’il soit, ce dernier se retrouve enfermé dans une tourmente financière infernale. Tourmente financière qui est entretenue par les dégradations à venir des autres agences de rating et par le fabuleux pouvoir du concept de « perspectives négatives ». L’exemple de la Grèce résume à lui seul nos dires. Mais ne nous mentons pas. Accordons cela aux agences de rating, à savoir qu’elles ne font pas tout le temps mal leur travail.
Reprenons le cas grec, si emblématique. Toutes les dégradations successives ne sont pas tombées du ciel. Malheureusement nous ne pouvons pas être d’accord avec certains dirigeants de la zone euro quand ils ont pu dire que les dégradations sur la Grèce n’étaient pas méritées. Il est vrai que le diktat de la notation est problématique. Il est encore plus vrai que le calendrier des dégradations pose d’énormes problèmes de cohérence. L’impression qu’une dégradation tombe tel un coup de foudre venu de Zeus en personne est justifiée. Enfin comme personne ne connaît exactement les méthodes d’évaluation propres aux trois majors du rating, il est bien impossible d’essayer de les contredire sur certains points. Toutefois au vu de la situation générale de l’économie grecque, pour ne parler que d’elle, le bien-fondé de la dégradation progressive de la note grecque depuis le mois de mai 2010 ne peut être remis en question.
Il en va de même avec d’autres pays européens ou encore les Etats-Unis. Le bien-fondé des dégradations de notation peut se comprendre au vu de l’état des finances ou de la croissance de ces pays. Soyons précis et cohérents. Nous disons que nous pouvons comprendre les différentes dégradations de notation qui ont pu intervenir dernièrement. Nous disons également que nous sommes très critiques vis-à-vis de tout ce qui entoure ces dégradations. Mais nous y reviendrons lors d’un prochain article.
Pour revenir à notre sujet, nous estimons que les agences de notation font leur travail en abaissant certaines notations. Toutefois ces agences de rating remplissent-elles entièrement leur mission d’évaluation et de prévention des risques ? Non, c’est même tout le contraire.
Tels les Anémoi, divinités des orages, des tempêtes et des ouragans, Fitch Ratings, Moody’s et Standard & Poor’s font figures de « divinités du monde de la finance » qui soufflent le chaud et le froid sur les marchés. Or quand le navire grec commence à sombrer, les dieux de la notation ajoutent à son infortune en dégradant successivement sa coque. Les agences de notation sont bien loin d’être les déclencheurs de la crise grecque, comme elles sont à des années lumières d’être responsables de la crise de l’immobilier en Espagne.
Entendons-nous bien ici, car le propos a de l’importance. De part leur stature d’Oracle de la finance moderne, et grâce à la place que les autorités à travers le monde leur a accordé, les agences de ratings sont devenues des catalyseurs des crises financières. Loin de prévenir le risque financier, elles l’empirent par le seul fait qu’elles prennent des décisions qui sont totalement floues et parfois cruellement mal justifiées. Quand la spirale de la dégradation s’enclenche, rien ne semble pouvoir l’arrêter. Ce sentiment est d’autant plus fort que les agences de rating en question sont au nombre de trois. Chaque décision de l’une d’entre elles fait figure d’appel aux deux autres. De plus leur frénésie de la dégradation renforce le tout. Le concept de « perspectives négatives » tient plus de l’épée de Damoclès trempée dans une cuve de cyanure que du simple voyant d’alarme pour les pays concernés.
Qu’importe ce que peuvent dire certains. Les agences de notation n’ont pas toujours tort dans leurs prises de décisions. Toutefois à cause de leur structure et fonctionnement actuels, il leur est impossible d’apporter la sérénité qu’attendraient légitimement les marchés financiers. Personne ne sait quand une agence de notation va frapper. Personne ne sait quel pays va être dégradé le prochain. Personne ne sait le pourquoi du comment concernant telle ou telle dégradation de note. On peut juste essayer de deviner, de spéculer, rien de plus. En définitive, personne n’est en capacité de comprendre l’intégralité du processus de dégradation d’une agence de rating. Pour la simple et bonne raison que c’est un secret farouchement gardé. Ajoutez à cette première couche d’incertitudes, une bonne dose de flou venue de tous les échecs à répétition des ces dernières années qui ont marqué la fabuleuse ascension des agences d’évaluation financière, alors vous aurez un magnifique cocktail d’incompréhension. Or les marchés financiers détestent ne pas comprendre totalement ce qui peut se passer.
De plus les agences de notation versent plus dans la surenchère prononcée que dans la prévention. Pour preuve elles ressemblent un peu aux trois médecins face à la maladie. A savoir que chaque médecin va tour à tour diagnostiquer de nouveaux maux au patient. Médecin A : Vous avez une petite fêlure au doigt, rien de grave monsieur. Médecin B : Ne vous inquiétez pas c’est juste une petite fracture à l’avant bras. Médecin C : Ne vous en faites pas, c’est uniquement une gangrène du bras, on va s’en occuper. Cette si étrange impression qu’a chaque nouvelle intervention d’un médecin, le mal s’aggrave toujours davantage sans que rien ne soit possible. Demandez au gouvernement grec si ce n’est pas cela qu’il a ressenti à force de prendre des réformes qui n’avaient que pour autres conséquences qu’invoquer une nouvelle dégradation de la note du pays.
Qu’on se le dise bien, travail erroné ou non, les agences de rating font fatalement figures de catalyseurs aux crises financières du Capitalisme financier moderne. Comme nous l’ont montré ces dernières semaines sur les marchés, même en agissant d’une manière moins erronée qu’auparavant, le résultat est le même : la crise est amplifiée par leur faute.
Qu’on se le dise bien, dans leurs structures actuelles, la mission des agences de notation est impossible …
Malavan
Tres belle écriture, comme d’habitude , je peux le dire maintenant…
L’image des dieux de l’Olympe qui frappent la Grèce, je trouve cette métaphore très bien choisie, un peu comme ces agences américaines qui frappent leurs pays créateur…
Merci Malavan pour ce très bon article